Tuesday, March 24, 2009

DANIELLE LAPOINTE

Quand on veut, on peut
par Danielle Lapointe

http://www.amlfc.com/Articles/2002_09_01.html


Dans le petit village de Vinh Binh, situé dans le delta du Mekong, la vie se déroulait paisiblement pour Le Mai Tu, en compagnie de ses quatre soeurs et de son frère. Jusqu'à l'invasion du Vietnam du Sud par les communistes du Nord... Comme le père de Le Mai Tu était commerçant, il était considéré comme un capitaliste. De là, il était pratiquement impensable pour ses enfants de fréquenter l'école. Également, les Vietnamiens d'origine chinoise étaient particulièrement mal vus du régime communiste. Qui plus est, dès l'âge de 16 ans, filles et garçons étaient conscrits par le régime militaire pour participer à l'effort de guerre au Cambodge ou au Laos. Les parents de Le Mai Tu décidèrent donc de faire en sorte que leurs enfants quittent le Vietnam. Le Mai Tu avait 15 ans alors que sa soeur en avait 12 quand elles ont quitté le pays.

Les boat people

Au mois d'août 1978, Le Mai Tu et sa soeur embarquent à bord d'un bateau qui devait les mener à Hong Kong. Capacité maximale : une centaine de personnes. Nombre réel de passagers : 525. Au troisième jour du périple, une tempête oblige le capitaine à rebrousser chemin. Mais il n'était pas question de revenir au Vietnam puisque cela aurait signifié aller dans les camps de concentration. Le navire surchargé tente de longer la côte pour se rendre en Thaïlande. Une deuxième tempête fait obstacle à ce projet. « Nous étions complètement perdus en mer, dit Le Mai Tu. En cours de route, nous avons rencontré des pirates qui ne se sont pas attaqués à nous, jugeant que le navire était trop gros et l'équipage trop nombreux. Le douzième jour, un bateau hollandais nous a repérés et nous avons enfin obtenu du secours. Nous avons été remorqués jusqu'en Malaisie. »


Le Dr Le Mai Tu

La Malaisie

Ce n'est qu'après d'intenses négociations avec les autorités malaisiennes que le Dr Le Mai Tu et tous les autres passagers ont été acceptés comme réfugiés, sous la protection des Nations Unies. Ils ont été menés sur une île déserte et sauvage, car ils n'étaient pas autorisés à se mêler à la population locale. Il leur a fallu vivre sous des feuilles de cocotiers, défricher et construire des abris. C'était ainsi. « Nous sommes demeurés sept mois à cet endroit en attendant que l'on statue sur notre sort, dit le Dr Le Mai Tu. Un ami nous a recommandées, ma soeur et moi, au gouvernement canadien en tant que mineures. À ce moment-là, le Canada n'acceptait pas les mineurs. Finalement, après de longues discussions, le Canada nous a accueillies. C'était notre planche de salut. Nous aurions accepté l'offre de n'importe quel pays pour sortir de cette île. »

Le Canada

Les deux jeunes filles arrivent à l'aéroport de Mirabel le 10 mars 1979. Elles ne sont pas vêtues adéquatement, compte tenu de la température froide de ce mois de mars, et elles sont complètement désorientées. Des religieuses les hébergent, et un compatriote leur donne 5 $ pour qu'elles achètent des timbres et puissent envoyer une lettre à leurs parents au Vietnam afin de les rassurer. Un geste dont Le Mai Tu se souviendra toute sa vie. Après avoir échangé avec les jeunes filles sur leurs intentions, on décide de leur trouver une famille d'accueil. Une de ces familles, qui comptait déjà deux garçons, recherchait une petite fille. « Or, nous étions deux, et de grandes filles, dit Le Mai Tu. De plus, il n'était pas question que je me sépare de ma soeur. J'étais prête à travailler afin de la faire vivre. Finalement, ce couple nous a acceptées toutes les deux. Les deux garçons du couple étaient des adolescents. François avait 13 ans et Daniel 12 ans, tout comme ma soeur.

« Mon père adoptif était médecin - le Dr Claude Leclair -, continue Le Mai Tu. Sa conjointe était infirmière. » Le Mai Tu voue une reconnaissance sans bornes à ses parents adoptifs. Les deux filles ne parlaient ni français, ni anglais à leur arrivée en sol canadien. « Mes parents adoptifs nous ont guidées pas à pas dans notre apprentissage de la langue française et notre intégration à la culture du pays. Nous avions maintenant une sécurité matérielle et nous nous retrouvions dans un pays qui n'était pas en guerre, dans une belle grande maison où il y avait une piscine. Nous avons passé l'été à suivre des cours de français. À la reprise scolaire de l'automne, la première journée, ma soeur et moi avons pleuré à chaudes larmes. Notre connaissance du français était encore très fragmentaire. Nous n'y comprenions rien. Mon père a décidé d'acheter un magnétophone et au moins 20 cassettes. On a enregistré tous les cours. Au retour à la maison, après la journée à l'école, mon père travaillait avec ma soeur et ma mère avec moi. On traduisait tous les mots en vietnamien à l'aide d'un dictionnaire et on préparait le cours du lendemain. Ce qu'ils ont fait pour nous est extraordinaire. Un an plus tard, nous étions les meilleures de nos classes respectives, même en français. J'ai terminé mon secondaire entourée de ces merveilleux parents adoptifs. Je suis allée au cégep et ensuite, je suis entrée en médecine à l'Université de Sherbrooke.

« Déjà, toute jeune, je voulais devenir médecin, inspirée en cela par le médecin de mon village au Vietnam, que j'admirais. Son bureau se situait tout près de notre domicile, et je pouvais le voir à l'oeuvre en grimpant aux fenêtres de son officine. Quand on ne pouvait contrôler la maladie par des moyens holistiques tels que les herbes, dit Le Mai Tu, on consultait le médecin du village. »

Les études de médecine

Le Mai Tu se retrouvait ainsi encore une fois obligée d'apprendre un tout nouveau vocabulaire, médical cette fois-ci. Qui plus est, elle a dû apprendre l'anglais puisque la majorité des livres de référence étaient écrits dans cette langue. Tout cela ne l'a pas découragée. Par contre, elle a connu des moments difficiles quand elle a appris que son frère, qui résidait maintenant en Australie, était atteint du cancer. « Il a subi une intervention chirurgicale qui l'a laissé défiguré. Cela m'a beaucoup ébranlée, et je me suis quasiment laissée aller. Mais autrement, je me suis toujours débrouillée pour arriver à la ligne d'arrivée en même temps que tout le monde. »

L'urologie

La formation médicale se poursuit et Le Mai Tu décide d'entreprendre des études spécialisées. Elle hésite entre la médecine interne et la pédiatrie. Elle fait application pour poursuivre ses études dans l'une ou l'autre de ces spécialités. Par après, elle fait un stage en urologie et en chirurgie. L'urologie représente pour elle une véritable découverte. Elle opte alors pour une année en médecine familiale afin de pouvoir s'inscrire en urologie l'année suivante. Elle est admise.

Pour les trois premières années, sa résidence se déroule à Sherbrooke, puis à Montréal pour les deux dernières années, soit aux hôpitaux Saint-Luc, Sainte-Justine et à l'Hôtel-Dieu. Elle a trouvé difficile de mettre de côté son choix de la maternité, le temps de faire sa résidence. Comme elle envisageait une carrière académique, elle entreprend une maîtrise à l'Université McGill. Elle se rend aux États-Unis pendant un an et demi pour y obtenir un fellowship. Le Dr Le Mai Tu a voulu approfondir ses connaissances dans le domaine de la neuro-urologie et de l'urologie féminine, de l'incontinence urinaire en particulier. Elle s'est rendue au Pennsylvania University Health Center, où elle a complété sa formation, en compagnie de sommités en matière d'incontinence urinaire. Elle a étudié trois mois au Colorado avec le Dr Rich Smith, spécialisé dans les neurostimulateurs pour les problèmes d'incontinence.

De retour au CHUS

À son retour, un poste de professeure adjointe de clinique l'attendait au CHUS. Elle y pratique aujourd'hui comme urologue. Des offres fort alléchantes lui ont été faites, plus particulièrement en provenance des États-Unis. Elle a été bien tentée, mais comme son mari est un ingénieur spécialisé dans les programmes de transfert technologique des découvertes des chercheurs vers l'industrie et qu'il oeuvre à l'Université de Sherbrooke, Le Mai Tu a préféré s'établir en Estrie.

Deux passions : sa profession et sa famille

Une fois revenue à Sherbrooke, le Dr Le Mai Tu a vécu deux maternités rapprochées. Sa fille Camille a 3 ans et son garçon Justin est âgé de 2 ans environ. « L'arrivée des enfants est mon plus beau cadeau du ciel, dit-elle. La carrière est très importante, mais il y a autre chose aussi dans la vie. » Il y a tout de même des déchirements. Car après avoir consacré tant d'années à accumuler tout ce bagage académique, le Dr Tu, âgée de 39 ans, voudrait bien le faire fructifier. « Mais vraiment, il fallait que j'aie des enfants, soutient le Dr Tu. Je les adore. Pour moi, c'est un accomplissement et il est merveilleux de les voir grandir. Ma carrière est très importante et mes collègues le savent. La recherche, l'enseignement me captivent. Mais comme mon mari me le rappelle, la vie ne se résume pas à une profession. Au début, j'avais un engagement aux États-Unis, à Philadelphie, où je me rendais une semaine par mois. Après avoir mis au monde ma fille Camille, il est devenu impossible pour moi de continuer à ce rythme. » Le Dr Tu se dit très satisfaite de sa carrière à Sherbrooke, entourée de ses collègues qu'elle apprécie grandement.

Par ailleurs, le Dr Tu est nostalgique quand elle songe à sa famille qui est aujourd'hui dispersée. Ses parents, son frère et deux de ses soeurs résident en Australie et à Hong Kong. Sa plus jeune soeur habite au Québec. Cet automne, le Dr Tu se rendra en Australie afin que ses parents puissent faire connaissance avec le dernier-né de la famille. À son retour, elle reprendra ses activités. Elle compte bien réussir à relever le défi d'une vie familiale remplie et d'une vie professionnelle réussie. ]

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